LE DÉDALE

Extrait de la nouvelle : L'Abominable Espérance, issue du recueil Les Légendes du Chêne Blanc.

 

Mille milliers de bougies et de cierges éclairaient les salles de la citadelle. Les chemins de feu, les torchères, les brasiers en vasques par les lucifers embrasés répandaient partout leurs ombres. La citadelle ensommeillée ne bruissait plus que des pas empressés des fils de la nuit. Les nyx quittaient leurs quartiers pour s’élancer à travers les rues de la forteresse lorsque, traversant les salles centrales de la forteresse, Linelis, chevauchant un coursier se hâta, hurlant de faire place. Sa face s’ornait d’un sourire de terreur, ses yeux fous, semblaient avoir perdu depuis longtemps les étincelles de la raison. Le coursier à la gueule écumante sous l’effort, se frayait un chemin, renversait sur son passage les charrettes des marchands, n’évitait que par instinct les obstacles qui se dressaient sur sa route. Du sortilèges des poings de vent Linelis ouvrait à la volée tous les huis, envoyait aux landes oniriques les gardes surpris par l’ouverture des portes qu’ils gardaient pourtant avec vigilance. Aux frères de sagesse il lui fallait sans tarder s’adresser. Le chaos était une fois encore à leur porte, un chaos venu des âges passés, l’ombre de Kjarros planait à nouveau sur Emros. Elle traversa les jardins et les cours, franchit avec une célérité prodigieuse les ponts, abandonna aux primes écuries son coursier. Il n’était pour lui de voie en les antres de la citadelle. Jamais une telle bête n’aurait pu franchir les corridors et les étroits passages où elle peinait elle-même à se frayer un chemin. Trois heures d’efforts, d’errance, d’erreur et de recommencements lui furent nécessaire pour parvenir aux portes du labyrinthe d’Anabaa, dédale bâti loin dans les profondeurs de la cité.


    Les tortues de pierre de leurs impassibles regards l’accueillait. Elle ne savait que trop les chemins et les pièges innombrables, les illusions et la mort promise aux esprits ennemis. Sans peur elle s’engagea, cherchant des mains tendues et de son bâton les murs. Elle comptait ses pas, machinalement, comme pour rasséréner son esprit sur la découverte d’une voie mille fois parcourues. Lentement, presque imperceptiblement son pas se fit plus assuré, plus preste. La rage et la terreur qui se disputaient en elle la pressait. Les heures s’écoulèrent, infiniment longues dans cette nuit éternelle où tous ceux de son peuple étaient plongé. Elle maudissait l’orgueil des premiers Érudits, cette soif inextinguible de savoir qui leur avait valu la malédiction d’Anabaa et une cécité totale depuis des âges maintenant. Sans commettre aucune erreur Linelis parvint au cœur du dédale, tendant vers les esprits qui l’entouraient son arme en guise d’offrande. D’un verbe agile elle embrasait leur cœur, les implorait d’éveiller la horde minérale. Depuis toujours elle savait ressentir la présence des esprits, pouvait sans faillir dire leur lignée, leur rang, leur nom parfois lorsqu’auprès des hommes ils vivaient.


    Il était autour d’elle, marchant d’un pas discret, guettant depuis les hauteurs des murs, à plus de six coudées du sol, murmurant dans un antique langage, les esprits de la sagesse et ceux des terres souterraines, les esprits des souvenances et ceux de cauchemars. Mais il était parmi cette foule innombrable un esprit qu’elle chérissait plus que tout autre. Elle le pria de s’avancer, lui cet écho, cet esprit fils des vents, ce gardien des voix et des sons. Il n’était qu’esprit mineur, l’égalait en taille, se paraît des apparences humaines lorsqu’auprès des Érudits il s’en venait errer. Sans ambages elle dit la venue du Chaos, le retour de Kjarros et de ses légions dont elle avait entendu l’effroyable cri, plein de rage et de violence, les promesses de mort et de destruction. Elle s’en venait quérir leur secours, elle s’en venait demander l’aide du béhémoth, titan animal au corps envahi de nature. Seul son cri pouvait allumer en la forteresse les cris d’alarme, seul son cri pouvait tirer de leur sommeil et de leurs parchemins les Érudits.


    Il était dans ses mots tant de terreur et de force, de volonté et d’espérance que les esprits d’une seule voix s’unirent pour accéder à sa requête. L’écho pourtant à ses suppliques demeurait sourd, disait la force du jugement par la peur affaiblie. Il n’était en ces terres pas un fils de Kjarros, pas un de ses suppôts qui, bien des décades après l’âge de sang, le vénérait encore. Le béhémoth devait demeurer silencieux. L’heure n’était plus à la guerre, aucun des esprits des batailles n’avait sur l’heure pénétrer ces terres. Elle qui l’instant précédent usait du verbe refusait les mots de l’écho, éveillait d’un geste de la main la gemme arcanique qui ornait son bâton. Des souffles azuréens elle renvoyait au silence les mots de l’esprit, le chassait d’une bourrasque de devant la statue monumentale. D’une parole elle les défiait tous, levait dans les couloirs du dédale les vents mugissant. Cent dragons, mille bêtes, dix mille créatures hurlaient en un vacarme assourdissant. Elle naissait des souffles, des brumes et de la poussière, créatures antiques que leurs mains habiles dessinaient sans trembler dans les pages des grimoires. Aux portes du dédale elles s’imposaient, gardiennes vigilantes qui, de brumes infinies, renvoyaient au béhémoth les esprits aventureux. Par les arcanes élémentaires Linelis gagnait la tête de la bête de pierre et sa gueule, soufflait dans le gouffre les mots des sortilèges, lançait, dans la langue des hommes et dans celle des Anciens l’appel. Contre le front de la bête elle apposait le sien, d’une pensée la conjurait de prendre vie. Elle était l’espérance, elle était le gage de leur victoire, l’élan du cœur mille fois espéré.

 

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